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I already died one time

Doubt is one of the names of intelligence. Jorge Luis Borges

Le doute est l'une des formes de l'intelligence.

 

Il faisait beau. Le bruit du moteur ronronnait dans nos casques, nous rentrions à notre aérodrome de départ. Le soleil de cette fin d'après-midi de printemps rendait la campagne bucolique du haut de nos 1500 pieds d'altitude.

Nous comptions les belles demeures de ce beau pays qu'est la France, notre passager à l'arrière nous faisant les commentaires.

Bien installés dans notre cockpit, nous dégustions le bonheur de voler par beau temps dans un environnement sécurisant . Et puis mon commandant de bord (CdB) m'a dit d'une voix calme "prend le manche, il est dur, je ne sais pas ce qui se passe".

En effet, il était dur et figé, comme si nos commandes étaient bloquées, dur du côté gauche. L'avion ne pouvait être manoeuvré et il avait tendance à partir légèrement à gauche.

Je commençais l'une des plus terribles et finalement l'une des plus belles expériences de ma vie. J'ai répondu à tout le monde "serrez vos ceintures !" et dit à mon CdB : "réduit le moteur et tout droit devant en descente douce".

Tout est devenu magique au lieu de tragique. Ma vision s'est subitement élargie, tous les sons et bruits sont devenus numériques en haute définition. Je me suis dit "ça y est, nous y sommes, nous allons vivre nos dernières minutes".

L'horizon devenait courbe, ma vision du cookpit était celle d'un objectif fisheye. La projection dans l'inconnu avec une maîtrise complète de ses faits et gestes. Le paradoxe à son paroxysme.

Comme à la parade mais pas à l'exercice, dans un coin de ciel bleu paisible et rassurant nous allions tout droit, sereins, calmes vers une fin annoncée. Sans violence, bien assis confortablement en contrôlant l'avion nous y allions résolument, droit devant.

C'était une expérience unique, car non préparée, ce n'était pas un exercice, c'était la vraie vie. Quelques minutes après, je trouvais la raison de cet incident : le boîtier électronique de mon casque antibruit qui s'était logé au sol dans le système de commande du manche.

Je repense toujours à ce moment de vie sans obtenir la réponse à cette question : si cet avion, en parfait état de marche, plein de carburant avec des pilotes qualifiés, volant par beau temps, s'était posé en catastrophe, passant sur le dos avant de s'enflammer, qu'aurions nous trouvé comme cause de l'accident ?

Comme en mathématiques, la solution la plus élégante est toujours la plus simple. Beaucoup de questions restent sans réponse, car nous passons notre temps à regarder au-dessus de l'horizon...la réponse est à nos pieds.

       On appelle réflexes les mouvements que l'on fait sans réflexion. Maurice Donnay

N'expliquez jamais les raisons pour lesquelles vous prenez une décision : la décision peut-être bonne et les raisons mauvaises. Talleyrand